À qui appartient une invention ?
Cette question, en apparence simple, soulève des enjeux considérables en matière de propriété intellectuelle. Le Code de la propriété intellectuelle (CPI) consacre le principe selon lequel l’invention appartient à son créateur. Pourtant, dans la pratique, c’est souvent l’employeur ou un tiers déposant qui devient titulaire du brevet.
Comment expliquer cette apparente contradiction ?
Cet article vous aide à comprendre les règles juridiques essentielles encadrant la titularité des inventions, le rôle du dépôt de brevet, et les exceptions liées au statut de salarié.
🔹 Le principe fondamental : l’invention appartient à celui qui l’a réalisée
L’article L. 611-6 du Code de la propriété intellectuelle pose une règle claire :
« Le droit au titre de propriété industrielle appartient à l’inventeur ou à son ayant cause. »
Autrement dit, le droit naît au profit de l’inventeur lui-même. C’est lui qui dispose, en principe, de la liberté d’exploiter, céder ou valoriser son invention.
Mais attention : la loi française repose sur un système dit “de dépôt constitutif”.
👉 Ce n’est pas la simple conception de l’invention qui confère la propriété, mais bien le dépôt du brevet auprès de l’INPI.
Celui qui dépose le brevet devient le titulaire officiel, même s’il n’est pas l’inventeur au sens matériel du terme.
Ainsi, un inventeur peut être dépossédé de son droit s’il ne procède pas lui-même au dépôt.
C’est pourquoi les institutions, laboratoires et entreprises établissent des procédures internes pour encadrer ces dépôts et éviter les conflits de titularité.
🔹 Une jurisprudence constante : la titularité ne se présume pas
La jurisprudence rappelle avec constance que la titularité d’un brevet ne se présume jamais.
Un arrêt marquant illustre cette rigueur :
👉 Cass. com., 25 avril 2006, concernant un stagiaire du CNRS.
Ce dernier, n’étant ni salarié ni agent public, avait réalisé une invention au sein du laboratoire. Malgré un règlement interne attribuant les résultats au CNRS, la Cour de cassation a jugé que l’inventeur restait seul propriétaire de son invention.
Cette décision souligne un principe fondamental :
Seules les exceptions prévues par la loi peuvent déroger au droit de l’inventeur.
Un règlement interne ou un contrat ne suffit pas à transférer la propriété d’une invention, sauf s’il respecte les dispositions légales applicables.
🔹 Le dépôt de brevet : clé de la titularité
En droit français, le dépôt du brevet est constitutif de droit.
Cela signifie que l’invention n’est protégée qu’à partir du moment où un titre de propriété industrielle a été déposé auprès de l’INPI.
- Le dépôt confère la titularité juridique du brevet.
- L’inventeur conserve un droit moral à être mentionné, même s’il n’est pas titulaire du brevet (article L. 611-9 CPI).
- En cas de dépôt frauduleux, l’inventeur peut revendiquer la propriété du brevet dans un délai de cinq ans à compter de la délivrance.
Tout inventeur doit documenter soigneusement son travail (rapports, cahier de laboratoire, mails, prototypes) pour pouvoir démontrer la paternité de l’invention en cas de litige.
🔹 Le cas particulier des salariés inventeurs
En pratique, plus de 90 % des inventions sont réalisées par des salariés dans le cadre de leur emploi.
Le Code de la propriété intellectuelle prévoit donc un régime spécial (article L. 611-7 CPI) dérogeant au principe de L. 611-6.
Ce régime distingue trois catégories d’inventions :
- Les inventions de mission : elles appartiennent à l’employeur, qui doit verser au salarié une rémunération supplémentaire.
- Les inventions hors mission attribuables : le salarié reste propriétaire, mais l’employeur peut en revendiquer la propriété moyennant un juste prix.
- Les inventions hors mission non attribuables : elles appartiennent entièrement au salarié.
Ce système vise à équilibrer les intérêts :
- Le salarié, auteur de la création, doit être reconnu et indemnisé.
- L’employeur, qui finance la recherche et supporte le risque industriel, conserve la maîtrise économique des résultats.
🔹 L’importance du contrat et de la preuve
Pour éviter tout litige, les parties doivent anticiper la répartition des droits :
- Les contrats de travail devraient inclure une clause de cession anticipée des inventions de mission.
- Les entreprises doivent instaurer des procédures de déclaration d’invention.
- Les salariés doivent conserver la preuve de leur contribution inventive (date, contexte, moyens utilisés).
Un manquement à ces bonnes pratiques conduit souvent à des contentieux complexes, où la distinction entre invention de mission et invention hors mission attribuable devient floue.
🧾 Bonnes pratiques pour sécuriser vos droits d’inventeur
✅ Pour l’inventeur :
- Déposer une enveloppe Soleau ou rédiger un cahier de laboratoire daté.
- Conserver toute preuve de création.
- Déclarer officiellement son invention à son employeur.
✅ Pour l’employeur :
- Rédiger des clauses conformes à l’article L. 611-7 CPI.
- Mettre en place un registre interne des inventions.
- Prévoir la rémunération supplémentaire de manière transparente.
Conclusion
En France, le droit d’invention appartient d’abord à celui qui l’a réalisée (article L.611-6 CPI).
Cependant, seule la démarche de dépôt auprès de l’INPI confère la propriété effective.
Et lorsque l’invention est issue d’un contrat de travail, le régime des inventions de salariés s’applique, attribuant souvent la titularité à l’employeur.
Ce double système, principe de propriété de l’inventeur et exception salariale, garantit un équilibre entre créativité individuelle et intérêts économiques collectifs.